Prologue

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— Dépêche-toi, Jarl, chuchota Oden avec un signe de la main.
Jarl rejoignit ses compagnons sur la butte et s'allongea à son tour pour observer la plaine sablonneuse. Il faisait nuit, mais la lune, qui se reflétait sur les eaux ondoyantes du littoral, éclairait les abords côtiers d'une pâle lueur fantomatique.

Ils étaient cinq. Cinq valeureux guerriers à avoir pris le risque de poser le pied sur le continent. Et pour des îliens comme eux, c'était risquer la mort.

Les cinq hommes se faufilèrent sur les terres humides, à la faveur de la nuit. Une fois la plage traversée, il fallait enjamber les canaux gorgés d'eau saumâtre. Leurs bottes de peau pataugèrent dans les rigoles détrempées, mais les hommes, qui avaient l'habitude des embruns et de la mer n'y prirent pas garde.

— Jusqu'où doit-on aller ? demanda Jarl, qui fermait la marche.
Oden se retourna. Ses cheveux blond clair brillèrent à la lumière de la lune.
— Orvar a suivi une piste, juste un peu plus au nord... elle mène dans un village.

Jarl, qui avait posé un genou au sol pour reprendre son souffle, acquiesça. L'excitation s'était emparée de lui à la mention du mot « village ». Il attendait ce raid depuis de nombreuses semaines.

Après l'effervescence de la traversée sur leur petite chaloupe, l'excitation le rendait presque extatique.
— Dépêche-toi, lança Oden avec un signe de tête.
Ils rattrapèrent les trois autres hommes au pas de course.

                                                                    ***

Les cinq guerriers étaient tapis dans l'ombre depuis une heure. Jarl était le plus impatient de tous ; il balançait sa hachette à un rythme régulier, pressé d'en découdre.

Mais Balder avait imposé d'attendre. Et personne ne discutait les ordres de Balder.
Frère jumeau d'Oden, leur ressemblance était frappante ; pas au point, néanmoins, de ne pas pouvoir les différencier. Il avait les cheveux blonds, tout comme son frère — comme une majorité d'îliens — mais ils étaient plus foncés.

Les dessins rasés, qu'une des femmes du clan avait dessinés sur ses tempes, couplés à la cicatrice qui traversait son nez et sa joue, et à son caractère ombrageux le rendaient terrifiant.

Peu d'entre eux osaient soutenir son regard d'un bleu aussi fluctuant que la mer, car, lorsqu'on le regardait, on ne voyait qu'un visage froid et sinistre.

Mais Jarl était aussi le plus imprudent.

— Qu'est-ce qu'on attend ? lâcha-t-il, exaspéré.
Balder pivota lentement vers lui, et le fixa assez longtemps pour lui faire détourner le regard. Jarl se rassit dans les fourrés et prit son mal en patience... quelques secondes.
— Par tous les Dieux ! Il n'y a que quatre masures !

Oden soupira et secoua la tête.
Il détestait quand les choses s'envenimaient et que son frère était concerné. Parce qu'immanquablement, il serait celui qui devrait raisonner Balder pour l'empêcher de tuer quelqu'un.

D'un geste vif, il attrapa le col de Jarl.

— Mets-la en veilleuse ! le rabroua-t-il si bas que son compagnon dût tendre l'oreille. Il y a quatre maisons ici, six autres de l'autre côté de la butte, là-bas.

Du doigt, il montrait un point, au loin, derrière les habitations.
— On est cinq, mais si les maisons contiennent plus d'un guerrier, on sera en infériorité.
— On peut largement se battre contre vingt hommes ! pérora Jarl.

Il se dégagea d'un geste brusque. Il avait les remontrances en horreur. Il était, certes, le plus jeune, mais pas le moins expérimenté.

Il se tourna vers ses compagnons quand il les entendit bouger. Sans bruit, Gunnar et Orval partirent chacun de leur côté pour contourner les maisons.

Balder s'approcha de son frère.
— Surveille-le, intima-t-il avec un signe de tête.
Le ton était sans appel.

À son tour, il se dirigea vers le petit village, le dos à moitié courbé, le pas léger et silencieux. Une à une, il vérifia les habitations. Il observa les vêtements, les chaussures, les chevaux. Il écouta les ronflements.

Jarl avait commencé à mordiller ses ongles sous le regard agacé d'Oden. Il suivit les guerriers des yeux, un à un. Il compta leurs pas, guetta l'expression de leurs visages — même si la distance ne lui permettait pas de voir correctement leurs traits.

Cependant, ils semblaient sereins. À l'affût, mais confiants.
Lorsqu'ils revinrent, Jarl leur sauta presque dans les bras.
— Alors ?!

Gunnar fronça les sourcils et l'ignora pour se tourner vers Balder.
— Pas plus d'un par maison, assura-t-il. Plus un gamin chétif.
Orvar opina du chef.
— Que des femmes et des enfants.

Balder prit une grande inspiration. Il avait constaté la même chose. Personne ne les arrêterait. Les Dieux avaient entendu leurs prières.
— Très bien, on va se placer ici, ici, et ici.

De la pointe de son poignard, il désignait les points stratégiques autour du village.
— On met le feu en même temps.

Il se tourna vers le nord.
— Les réserves sont là-bas. Les tonneaux sont remplis de graines et de sel.
Les yeux de ses quatre guerriers étincelèrent. Ils hochèrent la tête.
— Pour le reste (il leva son poignard qui refléta la lune). Vous savez ce que vous avez à faire.

Le Roi en Exil, tome 2 : Niall [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant